Haute Joaillerie : un mezzo voce de très haute tenue
La Fashion Week de janvier, contrairement aux spectaculaires collections de juillet, est plutôt mezzo voce. Pourtant, les collections présentées étaient aussi impressionnantes qu’inspirées. Colliers, bracelets et bagues transformables, montres de poche revisitées ou broches à piquer dans les cheveux, inspirations vintage, sixties ou Art déco, les bijoux ont défilé dans la lumière.
Dans cette première partie, observons la nature sous toutes ses formes. Si elle a toujours inspiré les joailliers, très présente dans les pièces patrimoniales, l’histoire et le récit, elle était déclinée cette fois-ci sous un éclairage nouveau, sauvage, indompté ou au contraire, dans une douceur sensuelle et très couture.
Chez Dior, le visiteur était invité à passer sous une tonnelle de roses séchées, enivré de leur parfum, pour découvrir les joyaux. Et quel éblouissement ! Victoire de Castelane continue d’enrichir le lexique joaillier de la Maison avec la collection Dior Milly Dentelle, allusion à Milly-la-Forêt, où Christian Dior possédait un domaine. La collection révèle un univers onirique et luxuriant, constellé d’une profusion de fleurs, de feuillages et de bosquets flamboyants.
Les créations ont une incroyable légèreté. Dans un léger relief, elles superposent de fines guipures d’or ou de diamants en motifs d’étoiles ou de fleurs à d’autres motifs de fleurs ou de feuilles, évoquant le charmant désordre de la nature. Les pierres de couleur aux teintes vives se juxtaposent en une sorte de farandole mêlant des tailles et des sertis différents, une signature du style de Dior Joaillerie. Saphirs et tourmalines Paraíba côtoient l’incandescence des spinelles roses et des grenats spessartites, des saphirs rose fuchsia et des rubis. Les colliers se piquent ici et là de minuscules perles de culture, une introduction assez récente dans la joaillerie Dior. Certaines pièces sont ourlées d’un micro-pavage de diamant dont l’éclat subtil rappelle le minutieux travail de la dentelle. Dior Milly Dentelle conjugue, à la grâce, la splendeur du monde végétal si cher à Christian Dior.
1910. Gabrielle Chanel présente à la presse sa toute première création : un chapeau orné d’une seule et spectaculaire aigrette blanche. En 1932, la plume réapparaît au sein de la première et unique collection de Haute Joaillerie de Mademoiselle, « Bijoux de Diamants », sous la forme d’une broche entièrement articulée, pensée pour accompagner une féminité en perpétuel mouvement. « Je veux que mes bijoux soient au doigt de la femme comme un ruban » disait Mademoiselle, soucieuse de souplesse et de confort en mode comme en joaillerie. Le délicat motif revit dans la collection Plume de Chanel sous la forme de six parures d’une grande légèreté. Un emmaillement sphérique réalisé cils à cils a été spécifiquement conçu afin de donner aux plumes une souple ondulation. La plume se fait caressante, comme évanescente et se porte de mille façons grâce à la transformabilité soigneusement étudiée des bijoux : à l’oreille en motifs asymétriques ou en motif unique, en bijou de tête, en bague ouverte, en collier dont les éléments détachables en broche sont comme un clin d’œil à la versatilité de la broche de 1932.
Au blanc éclatant du diamant se mêlent toutes les teintes de rose, du diaphane au fuchsia (des tourmalines, des saphirs roses, un superbe diamant traversé d’une subtile pointe de violet) insufflant à ces joyaux couture une douce féminité.
La nature, et plus particulièrement la botanique, a toujours eu sa place dans l’univers de Chaumet. Blé, avoine, fougère, laurier… ont été autant de sources d’inspiration dans l’histoire de la Maison, hommage à une nature sauvage qu’il faut honorer et protéger. La collection Bamboo, qui compte 10 pièces, évoque la beauté épurée de la plante, tenace et impérissable. Les créations reproduisent les tiges altières et droites du bambou et leurs feuilles posées à l’horizontal, balayées par le vent, fuselées. Celles-ci sont à peine retenues par la pointe sur la tige, un détail qui intensifie l’impression de mouvement. Les bambous de diamant ne sont jamais complètement symétriques. Les tailles, les espacements et les sertis alternent pour reproduire l’irrégularité naturelle. Grenats tsavorites vert tendre et opales d’Australie d’une iridescence bleu-vert ont les tonalités aquatiques du milieu humide dans lequel ils poussent. La délicatesse onirique de la joaillerie Chaumet, son graphisme épuré et minimaliste ne sont pas sans rappeler les estampes des peintres japonais qui traçaient le bambou à la pointe du pinceau.
Depuis que Claire Choisne est devenue l’enfant chérie de la place Vendôme, les nouveautés de Boucheron sont toujours très attendues. Et déçoivent rarement. C’est la versatilité qui inspire ici la collection Untamed Nature (Untamed signifie indompté). Boucheron s’est penché sur ses archives, peuplées d’une flore et d’une faune modestes à une époque où ses contemporains privilégiaient les fleurs nobles et les animaux majestueux. Untamed Nature ressemble à une petite encyclopédie botanique, étincelante, composée de feuilles d’airelle, d’avoine, de cyclamen, de mauve, de roseaux … et d’insectes. Les 28 pièces uniques traitées en monochrome, diamant blanc sur or blanc, sont d’un réalisme surprenant. La finesse des feuilles, pas plus épaisses que du papier, ciselées, ajourées et parfois montées en trembleuses, la transparence des ailes du bourdon ou du papillon, minces pellicules de nacre ciselées et nervurées à la main, les montures minimalistes dont le métal disparaît sous les motifs, montrent un très grand souci du détail. Le génie est aussi dans la transformation. Un immense collier de lierre (3 600 heures de travail), composé de 84 feuilles de diamant ajourées en serti descendu et qui fait le tour du torse, se décompose pour devenir tour à tour traîne de corsage ou broches. Ailleurs, ce sont des tiges d’avoine bercées par le vent qui viennent se piquer dans les cheveux ou servir de broches fibules. Les insectes s’épinglent partout, vibrionnant autour des végétaux dans un foisonnement de lumière.
Jacqueline Karachi, Directrice de Création Haute Joaillerie de Cartier depuis bientôt 20 ans, n’a cessé de lier la haute joaillerie de Cartier à son histoire et à son identité, comme un fil rouge qui serait inlassablement retissé. Le style de Cartier se reconnaît à sa polychromie caractéristique, aux ponctuations de corail ou de pierres dures, à la souplesse d’étoffe de ses colliers, aux accents Art déco et à son corollaire, l’équilibre des formes, à la présence récurrente des pierres gravées tutti frutti et de la sensuelle panthère, qui parcourt chaque nouvelle collection. Dans ce dernier chapitre de Nature Sauvage, qui compte 24 pièces sur un total de 160 pour l’ensemble des chapitres, une panthère se repose sur un feuillage de diamant (collier Panthère Canopée), veillant sur un énorme saphir de Ceylan de 26,53 carats ou se balance doucement sur un collier transformable serti d’une émeraude taille pain de sucre. Plus loin, un martin pêcheur couve une superbe tourmaline coussin de plus de 15 carats… le vert et le bleu toujours, si chers à Louis Cartier ! Le travail des pierres est remarquable. Le collier Echina, d’une abstraction très graphique, est constellé de boules d’émeraude côtelées (un style introduit chez Cartier vers 1920) piquées de corail. Des entrelacs finement ajourés dessinent des zelliges de diamants façon Art déco. Enfin, la pièce majeure était le collier tutti frutti, typique de la glyptique indienne que les frères Cartier découvrirent en Inde en 1911, foison de saphirs gravés, d’émeraudes côtelées, de gouttes et de boules de rubis, dont les rangées de pierres sont amovibles pour donner lieu à plusieurs portés différents.
Pour Laurence Graff, qui a vu passer entre ses mains quelques-uns des plus beaux diamants du monde, le collier Gift of Love, présenté pendant la Fashion Week exprime la quintessence de la Maison : la perfection, la sublimation de la pierre. Il met en scène un couple de moineaux, associés à la déesse de l’amour Aphrodite dans la mythologie grecque. Souvent représentés près d’elle ou perchés sur son épaule, ils incarnent le sentiment amoureux. Sur le collier – parfait pour la Saint Valentin - l’oiseau de droite est posé sur une branche de diamants, tenant dans son bec d’onyx une superbe poire Fancy Intense Yellow de 13,51 carats, tandis que le second déploie et agite ses ailes, impatient de saisir ce présent exquis. La complicité animalière et amoureuse a inspiré cette pièce poétique sertie de 2 305 diamants (125 carats) qui a demandé 3 ans et 6 000 heures de travail ! La variété des tailles de diamants et des sertis illustre la complexité du savoir-faire qui a fait la réputation du joaillier londonien.
Parution LUXUS+ février 2025
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