Chaumet, une journée particulière

Chaumet révèle son patrimoine à l’occasion des Journées Particulières de LVMH. L’art de transmettre l’émotion.

Chaumet 12 place Vendôme, vue sur la cour intérieure


Au 12, Place Vendôme, les hautes portes de l’hôtel particulier du joaillier Chaumet s’ouvrent. Jean-Marc Mansvelt, CEO de la Maison, accueille ses visiteurs avec le sourire et la poignée de main chaleureuse que l’on réserve d’habitude à un ami. Passant devant les portraits en pied de Joséphine et Napoléon – le joaillier Nitot, qui prendra plus tard le nom de Chaumet, était leur fournisseur attitré – nous entrons dans l’endroit probablement le plus émouvant de la Maison, le salon Chopin. C’est ici que le musicien joua en 1849 sa dernière mazurka (opus 68 n°4). Un jeune pianiste est là, il entame une des nocturnes du compositeur qui emplit l’espace et nous transporte.

Le salon Chopin

La magie des apparences

Bertrand Bonnet Besse, l’ambassadeur de la Maison Chaumet, nous entraîne ensuite à la découverte de pièces sélectionnées. A ce poste chez Chaumet depuis 13 ans et depuis 30 ans dans le groupe LVMH, un record quand on connaît l’exigence du groupe de luxe, autant dire que cet homme de culture, fin et passionné, connaît la Maison sur le bout des doigts. Et pour commencer, il attire notre attention sur quelques procédés qui participent à la magie de la haute joaillerie. Sur un collier, la technique du fil couteau, fil d’or apparent qui relie les composants d’une pièce de joaillerie par l’arrière, donne l’impression que les diamants sont mis en lévitation. Sur une broche, un diamant est monté en trembleuse, c’est-à-dire sur une tige d’or souple qui permet de faire vibrer la pierre à chaque mouvement. Celle-ci capte alors toute la lumière au moindre tremblement, ce qui lui donne un côté magique et éclatant le soir.

Autre technique développée par les ateliers de joaillerie, le trompe-l’œil, un peu comme les artistes italiens de la Renaissance travaillaient le stuc pour lui donner un aspect de marbre. Le diadème Fuchsias, pièce maîtresse du patrimoine de la Maison, reproduit en trompe-l’œil des diamants poire qui sont en fait une juxtaposition de diamants ronds qui créent cette illusion d’optique.

 

Le “joaillier naturaliste”.

S’il est un sujet qui passionne Chaumet et jalonne depuis toujours son chemin créatif, c’est bien celui de la nature : la faune, la flore, la botanique, l’eau. Dans un document retrouvé aux archives nationales et datant de 1793, Nitot se définit comme « joaillier naturaliste ». Couronne d’épis de blé en diamants de l’impératrice Joséphine, diadèmes de feuillages ou de gouttes, gracieuses tiares en ailes d’oiseaux surmontées d’une aigrette, broches et devants de corsage en feuilles de diamants et bien d’autres créations signent un engouement pour la nature qui se répandra largement en joaillerie.

Régulièrement, la haute joaillerie de Chaumet s’empare du thème. La Nature de Chaumet réinventait récemment quatre déclinaisons du laurier, du blé, du chêne et du lys, emblématiques de la Maison. En 2022, les collections Déferlante et Ondes et Merveilles s’inspiraient du mouvement jaillissant des vagues, des frissons de l’eau, de la vie sous-marine ou de la douceur des rivages ensoleillés.

La métamorphose de l’eau n’est pas un thème nouveau pour Chaumet. Un exemple saisissant est le diadème Stalactite (1904) où s’écoulent des diamants de glace qui semblent saisis par le givre. 

Le bijou transformable

Pour illustrer cette inspiration végétale, et surtout le principe de transformabilité du bijou qui est ancien chez Chaumet, Bertrand Bonnet Besse dirige ses visiteurs vers deux créations de haute joaillerie. D’un côté, un diadème créé par Fossin vers 1830, en diamants sur argent, seul métal blanc alors utilisé en joaillerie. Le platine était considéré comme trop dur à travailler et l’électrolyse, qui permet d’obtenir l’or blanc, sera découverte bien plus tard. Le diadème est orné de motifs de fleurs, des pensées, qui évoquent à l’évidence un message d’amour – la joaillerie du XIXème siècle est romantique – celles-ci se détachent, permettant différents portés. Comme une toilette, un bijou ne se portait qu’une seule fois et la métamorphose du collier en bracelets et en broches permettait de porter les éléments séparés en différentes occasions. Le bijou était ensuite rapporté chez le joaillier qui en concevait une autre pièce, de nouveau transformable.

La métamorphose du bijou est toujours très utilisée dans la joaillerie contemporaine. Les progrès techniques permettent de composer beaucoup plus de portés, d’interchanger les pierres, de dissimuler les attaches et les fermoirs eux-mêmes parfois transformés en bijoux. Témoin le diadème Passion Incarnat. Deux fleurs amovibles serties de spinelles rouges, de grenats rhodolites et de tourmalines « mint » se retirent, la pièce se porte alors comme un simple bandeau fait de longues herbes de diamant fouettées par le vent. Ce style gracieux et effilé est typique de l’art du dessin de Chaumet. Versé au patrimoine de la Maison, le diadème Passion Incarnat représente un tournant vers la modernité dans le style de la Maison.

Diadème Passion Incarnat, spinelles rouges, grenats rhodolites, tourmalines « mint » et diamants

“Le joaillier des bijoux de tête”

Avec son incroyable collection de 700 maquettes de diadèmes en maillechort et plus de 2 000 diadèmes créés pour les monarchies et les grandes familles aristocratiques Chaumet a été surnommé le « joaillier des bijoux de tête ». Pour Bertrand Bonnet Besse, la raison est historique. La Maison Nitot a été fondée en 1780, peu avant le grand retour des diadèmes pendant l’Empire, inspirés de l’Antiquité grecque. Nitot réalise alors le diadème de l’impératrice Joséphine et quand Joseph Chaumet prend la tête de la Maison, le diadème fait son retour dans toutes les grandes familles royales et aristocratiques. Pas de bal à la cour sans diadème. D’ailleurs, le protocole ne précise-t-il pas que pour être présentée à la souveraine, une femme doit porter un diadème, un éventail, une paire de gants… A la même époque, les modes vestimentaires changent aussi. Les tissus se font plus fins et risquent d’être abîmés par les broches et les devants de corsage, il faut donc inventer une nouvelle façon de porter les bijoux et les ornements de tête en font partie.

Diadème du patrimoine de Chaumet, émeraudes et diamants

Mais la révolution va changer la donne, le lourd diadème laisse la place aux graciles aigrettes surmontant des tiares plus légères tout en donnant un éclat de lumière extrêmement délicat. « Toutefois, la tradition ne se perd pas. Au mariage du prince Harry et de Meghan Markle, il était spécifié que les altesses royales (et elles seules) avaient le droit de porter un diadème », précise Bertrand Bonnet Besse.  Les tiares et bandeaux d’aujourd’hui, plus épurés, continuent d’être prisés des clientes américaines et asiatiques.

Le diadème reste un ambassadeur puissant de la Maison Chaumet, qui expose régulièrement ses « bijoux de tête » à l’étranger dans des écrins prestigieux. Récemment, au Japon et en Chine, ces inestimables trésors ont rencontré un public sensible à la tradition du bijou de tête qui fait aussi partie de leur culture joaillière.  En faisant danser des joyaux anciens dans des hologrammes, ces expositions entraînent les visiteurs dans un monde virtuel et follement magique. 

 

Le fonds mémoriel de la Maison, plusieurs centaines de milliers de pièces d’archives

Dans un étage élevé de la Maison, à l’abri des regards, Chaumet conserve et protège des années d’archives gérées par l’équipe du patrimoine qui compte 6 personnes. La salle de consultation, source d’inspiration fabuleuse et inépuisable pour les designers de la Maison, accueille aussi des chercheurs triés sur le volet. Jean-Marc Mansvelt est attaché à cet esprit de partage, qui permet de faire rayonner le patrimoine tout en révélant le rôle de Chaumet dans l’histoire de la joaillerie parisienne. Soigneusement rangés sur un mur entier, d’anciens livres de commande, livres de factures, livres de visite et autres documents tels que la correspondance avec les clients attendent d’être consultés avec la plus grande délicatesse.

 

Il n’y a ici que 5% des archives disponibles, beaucoup sont conservées ailleurs. Les plaques de verre photographiques requièrent une basse température de conservation et sont confiés à un prestataire spécialisé. Le fonds photographique est énorme, Joseph Chaumet ayant photographié dès 1790 toutes les pièces sortant de son atelier. Seule preuve que la pièce a bien été réalisée, une photo permet à la Maison d’expertiser ses pièces anciennes de façon certaine. Tout n’a pas encore été étudié, restauré et numérisé. C’est un travail de très longue haleine, qui prendra encore plusieurs années. Le fonds est effectivement impressionnant : 66 000 dessins, 300 000 photographies, 35 000 plaques de verre et 600 mètres linéaires d’archives…

 

VEGETAL, la joaillerie au cœur de l’art et de l’histoire de l’art

Certains événements ne pourraient exister sans cette source précieuse. A l’été 2022, c’est une exposition exceptionnelle que Chaumet dévoile avec VEGETAL à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris croisant plusieurs univers artistiques sur le thème de la nature. 400 peintures, sculptures, textiles, photographies, meubles et 80 objets joailliers de 70 provenances différentes se côtoient dans un parcours imaginé pour une rêverie. Chaumet est littéralement sorti de son rôle de joaillier. A travers cette événement inédit en joaillerie, il s’est montré à la fois témoin et acteur de différentes époques, donnant un contexte culturel fort à ses créations, repositionnant la joaillerie là où elle doit être, dans l’univers de l’art. 

Chaumet est l’une des plus anciennes Maisons de joaillerie établies à Paris. Le fil rouge que l’on perçoit dans la vision stylistique et artistique depuis l’arrivée de Jean-Marc Mansvelt, l’importance donnée aux pièces historiques comme source d’inspiration moderne, le lien quasi génétique avec la nature, la transmission ininterrompue des savoir-faire des ateliers permettent de mettre en lumière un patrimoine exceptionnel. Ce fil rouge donne du sens à tous les récits de la Maison, comme M. Mansvelt l’a bien résumé lors de son intervention à la Cité de la Réussite à la Sorbonne en juin dernier « Chaque fois que nous créons une collection, nous nous posons deux questions : est-ce que nos prédécesseurs auraient aimé de ce que l’on fait ? Dans 20 ou 30 ans, est-ce que nos successeurs en seront fiers ? »

 

Isabelle Hossenlopp Octobre 2022

Les photos sont la propriété de Chaumet et de l’auteur. Toute reproduction de photos et texte est interdite.

Photo de la page d’accueil : Positionnement des éléments sur le collier Gulfstream, collection de haute joaillerie Ondes et Merveilles


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