François Arpels réveille le joaillier Korloff

Divine Fougue cuff and rings © Korloff

Insuffler une nouvelle vie à la Maison Korloff tout en respectant ses racines fortes, c’est le défi que s’est lancé François Arpels. Issu de la troisième génération de la famille qui a fondé Van Cleef & Arpels, naturellement immergé depuis l’enfance dans l’univers des gemmes et des joyaux, expert en stratégie, il a toutes les cartes en main pour recharger en énergie le joaillier parisien.

LUXUS+ l’a rencontré lors d’un échange prolixe et passionné.

 

IH : La joaillerie a-t-elle toujours été votre passion ?

Je pourrais vous dire que je suis comme Obélix, tombé dans la potion magique quand j’étais petit ! J'ai eu la chance et le privilège de naître dans une famille qui s'appelle Arpels, qui a fondé en 1906 Van Cleef & Arpels à la suite du mariage entre Estelle Arpels et Alfred Van Cleef. Je suis donc de la troisième génération. Mon père était Pierre Arpels, qui fut visionnaire et stratège, créateur pour la Maison pendant plusieurs décennies. Avec lui, Van Cleef & Arpels a énormément innové, par exemple en créant le concept de la « Boutique ». Mon père a perçu dès les années 50 que l'on ne pouvait plus concevoir des bijoux comme avant, sur mesure, comme pour la couture. Un vent de jeunesse, de révolution, soufflait sur la joaillerie et, tout comme le prêt-à-porter a vu le jour dans la mode, Pierre Arpels a inventé une sorte de « prêt-à-bijoux » avec la Boutique. Le modèle Alhambra est né à ce moment-là avec le succès que l’on connaît. Le parfum First, dont le dessin du flacon reprend celui des boucles d’oreilles Valenciennes, a été lancé à la fin des années 70. C’était la première fois qu’un joaillier créait un parfum, c’était une façon de développer notre notoriété, d’offrir à la femme un premier pas dans l’univers de Van Cleef & Arpels. Je pense à mon père tous les jours et je me demande souvent « Est-ce que je prends la bonne décision ? Qu’aurait-il fait à ma place ? » Il m’inspire énormément dans mes décisions, en particulier chez Korloff.

Concernant mon parcours personnel, après des études à Paris, je suis parti à New York où j’ai eu plusieurs expériences (Oscar Heyman où j’ai été formé à la fabrication et au sertissage, puis chez Gol où j’ai été initié à la taille du diamant, et chez Christie's avec François Curiel) avant de rentrer chez Van Cleef & Arpels New York. Mon retour à Paris a été douloureux car ma famille avait décidé de céder Van Cleef & Arpels. J’ai essayé, en vain, de reprendre la Maison. Si mon premier deuil a été la perte de mon père lorsque j’avais 14 ans, la cession de Van Cleef & Arpels a été mon second deuil. Ces moments difficiles ont profondément structuré mon parcours de vie et ont guidé mes choix jusqu’à rejoindre Korloff.

 

IH : Après avoir tourné la page Van Cleef & Arpels, dans quels projets vous êtes-vous investi ?

J’ai ensuite été conseil pour d’autres Maisons de luxe familiales, en France, aux Etats-Unis et en Asie sur des questions de transmission intergénérationnelle, de définition et d’accompagnement de la mise en œuvre de leur stratégie. Puis en 2015, je suis parti en Inde. Ce pays a bercé mon enfance parce que mon père allait y chercher des pierres merveilleuses et c’est aussi de l’Inde que les joaillers se sont tant inspirés comme par exemple les styles Tutti Frutti de Cartier et « Fruit Salad » de Van Cleef & Arpels, surnom que nous donnions à cette composition d’émeraudes, de saphirs et de rubis gravés. De là, j’ai rayonné en Asie et au Moyen-Orient pendant 7 ans pour accompagner des marques dans leur stratégie. Lorsque la société turinoise Mattioli m’a proposé une collaboration, je me suis installé en Italie, où je vis toujours.  Mattioli est un fabricant de bijoux important, il fournit la place Vendôme et des joailliers américains, il a également fondé sa propre marque.

 

IH : Comment s’ouvre l’épisode Korloff ?

Faire du shadow management est enthousiasmant, cela permet d’apprendre toujours plus, avec une grande agilité d'action et de réflexion. Mais je ressentais le besoin de m'investir dans une marque en particulier parce que je pouvais apporter à la fois une compétence stratégique, rationnelle mais aussi créative. J’ai longuement analysé les opportunités sur le marché et mon attention s’est portée sur Korloff dont l’histoire me fascinait. J’avais déjà en tête un fil conducteur pour la repositionner tout en capitalisant sur sa présence internationale. Paradoxalement, elle est presque mieux connue à l’étranger qu'en France, alors que c'est à l’origine une Maison lyonnaise. Nous avions donc un accès au marché mondial avec des points de vente, avec une visibilité. Deuxième point fort, nous avions déjà des collections à offrir et quelques-unes d’entre elles me paraissaient particulièrement intéressantes. Nous allions pouvoir capitaliser sur celles-ci pour développer la création. Enfin, Korloff avait une taille raisonnable (une équipe de 22 personnes et 30 points de vente dans le monde).  En termes de flexibilité, d'agilité, de repositionnement, cet aspect était très appréciable.

 

IH : D’où vient le nom de Korloff ?

Comme vous le savez certainement, tous les grands diamants ont un nom. La Maison porte le nom d'un diamant noir, le seul diamant noir naturel de cette taille, 88 carats, connu au monde. Il a été acheté par le fondateur, Daniel Paillasseur, en 1978. Vous remarquerez le chiffre 8, qui revient souvent dans notre histoire : 1978, 88 carats, 18 rue de la Paix (adresse de la boutique). Le diamant lui a été présenté par un ami diamantaire qui lui a dit un jour « Il faut que je te montre quelque chose d'extraordinaire. Ouvre ta main et ferme tes yeux ». Et il a posé le Black Korloff dans la paume de sa main. 88 carats… il était totalement fasciné par cette pierre. Et il l'a achetée ! Il fallait de l'audace, en 1978, pour acheter un diamant noir de 88 carats… Nous ne connaissons pas avec exactitude l’origine du nom mais ce diamant aurait appartenu à une famille russe qui s’est enfuie au moment de la révolution avec ce fameux diamant caché dans une poche. Nous n’avons pas retrouvé la trace de cette famille mais c’est cela que l’on aime aussi, parce que notre diamant reste entouré d’une légende. Nous ne savons pas non plus si ce diamant a été extrait d’une mine ou s’il est arrivé dans une comète, les gemmologues n’ont pas pu déterminer son origine et ce côté mystérieux nous plaît beaucoup ! Ce diamant réapparaît comme par magie entre les mains d’un négociant qui le revend à Daniel Paillasseur, tombé amoureux de la pierre. Le diamant noir lui a toujours porté chance, il a marqué, jalonné, toutes les étapes de la Maison jusqu'à aujourd'hui.

 

IH : Vous avez développé l'Asie et le Moyen-Orient avant de développer la France. Sur quels marchés êtes-vous en pointe aujourd'hui ?

Revenons un peu sur notre histoire. Le fondateur Daniel Paillasseur était audacieux. Il a eu des idées assez extraordinaires. Ne venant pas du sérail, il s'est permis de think out of the box. Très vite, il a ouvert l’Asie et le Moyen-Orient, qui représentent aujourd’hui 65% du chiffre d'affaires. Cette fenêtre sur l'international a existé dès l’origine, en Russie, dans le Caucase et en Asie centrale, en Azerbaïdjan, au Kazakhstan et en Mongolie. Personnellement, je pense que le nom Korloff, bien que la Maison soit totalement française, a séduit une clientèle russe dans les années 1980-90. Paris prend de l’importance et représente aujourd’hui 15% du total. 

 

IH : Quel tournant a pris Korloff depuis votre arrivée ?

Je suis arrivé en octobre 2023. Mon expérience chez Van Cleef & Arpels m’imposait des objectifs élevés en termes de vision. Pour relancer Korloff, pour en faire une Maison française importante dans le monde et avant tout française, j’apportais avec moi un écosystème de fournisseurs, de partenaires qui m'accompagnaient depuis des années. Avec l'équipe Korloff renforcée, nous avons rationalisé les collections, décidé de nous concentrer sur les plus distinctives, les plus importantes, positionnées sur différents créneaux de prix pour couvrir tous les besoins de notre clientèle avec des créations en diamant, en pierres de couleur, en or… tout en respectant notre style. Une collection de chaînes en or avec un maillon propriétaire qui sera très reconnaissable est actuellement en développement. Nous venons aussi de révéler une nouvelle collection, Lance, qui est unisexe. Les créations sont complémentaires, les bagues et les chaînes peuvent s’accumuler, se coordonner, ce qui nous permet de développer le cross selling.

La décision a été prise de travailler avec les meilleurs ateliers français et italiens. La qualité de la fabrication est montée en gamme et aujourd'hui, les pièces proposées sont au niveau de celles de la place Vendôme, exceptionnelles, avec de magnifiques sertis descendus, des sertis boules…

En parallèle, il était nécessaire de réécrire notre histoire sans inventer quoi que ce soit. En France, peu de gens savent d’où vient le nom, ce qu’il signifie, où est installée la Maison, quelles sont ses collections… Les archives nous ont permis de noter que le fil conducteur a toujours été l’audace, un chemin que nous suivons aujourd’hui avec des visuels plus modernes, plus audacieux, plus innovants et des collections qui vont dans une direction plus forte, plus jeune, plus urbaine. J’aime dire que c’est comme une grossesse, il a fallu 9 mois pour relancer la Maison, pour lui redonner vie et nous sommes volontairement restés discrets pendant cette période de remise à niveau.

Sur le plan commercial, Korloff va se renforcer sur les marchés où il est déjà présent, en Asie, au Moyen-Orient et développer sa notoriété en France et en Europe, en particulier chez les meilleurs détaillants agréés avec lesquels des partenariats ont déjà été signés. Des boutiques en propre s’ouvriront dans les principales capitales (actuellement, il n’y a qu’une seule boutique à Paris, rue de la Paix) en prenant tout le temps nécessaire pour trouver les bons emplacements. Au Moyen-Orient et Asie, nous comptons renforcer notre présence avec les partenaires actuels qui sont les distributeurs des grands groupes, de grands professionnels qui nous accompagnent depuis très longtemps et sont enthousiastes de voir notre évolution depuis un an. Ils se projettent avec nous sur le long terme et nous souhaitons continuer avec eux. Au Japon, la Maison a 6 points de vente, dont 5 à Tokyo et nous projetons d'en ouvrir 2 par an avec notre partenaire. Une boutique en propre est un projet à plus longue échéance. L’Amérique du Nord, où Korloff n’est pas encore présent, est un objectif à moyen terme, je dirais en 2027 ou 2028.

 

IH : Vous avez développé et lancé de nouvelles collections. Y en a-t-il une à laquelle vous êtes particulièrement attaché ?

Je vais vous répondre de façon détournée. Je suis depuis très longtemps dans la joaillerie et on m'a souvent demandé « Quelle est votre pierre préférée ? » Eh bien, j'ai toujours été incapable de répondre ! En réfléchissant, j'ai fini par trouver la réponse exacte. Lorsque j'ai dans les mains un rubis vraiment extraordinaire, lorsque la couleur est incroyable, peu importe sa taille, j’en tombe amoureux. Lorsque j’ai entre les mains un saphir du Cachemire d’un bleu velouté, j’en deviens fou amoureux. Les émeraudes colombiennes issues des vieilles mines de Chivor ou Muzo sont aussi incroyables ! Finalement, je suis fasciné par les pierres, je suis incapable de vous dire laquelle je préfère. Avec peut-être une petite inclination pour le rubis...

Concernant nos collections, c’est pareil. Mais j’en mentionnerais peut-être 3 qui me plaisent particulièrement. La première est Korlove, la plus distinctive, qui associe au romantisme le côté rebelle et un peu rock de la Maison. Elle représente un cœur en trois dimensions, serti en diamant noir et diamant blanc. Le cœur est romantique, mais son serti en diamant noir lui donne ce côté un peu rebelle et audacieux que nous aimons. C’est un best-seller dans presque toutes nos boutiques.

Korlove

La deuxième est Éclat, une ligne éclatante qui scintille avec son diamant surélevé par rapport aux autres pierres formant les motifs géométriques de la collection. Elle a également beaucoup de succès.


Sur elle, boucles d’oreilles Eclat, sur lui, joncs Lance

Enfin, je citerais Divine Fougue, qui est magnifique. Les pièces sont très raffinées, très féminines. Cette collection est comme un soleil. Elle a été complètement reconçue, du dessin au serti et fabriquée avec de l’or recyclé de nos anciennes collections. Les pièces font alterner des rayons de soleil en or et en diamant de différentes longueurs pour apporter du mouvement et donner vie aux pièces. J'aime énormément cette collection qui permet aux femmes de se sentir encore plus belles. Nous pensons avant tout à elles, à faire des bijoux pour les rendre plus belles, plus fortes, plus indépendantes et plus sûres d'elles. Dans chaque pièce est serti un petit diamant noir, comme une sorte de talisman qu’elles gardent secrètement dans chacun de leur bijou. Nous souhaitons qu’il leur apporte autant de chance que nous en avons grâce à notre diamant noir de 88 carats.

Manchette et bagues Divine Fougue

Ce sont les trois collections qui, pour moi, sont les plus fortes et celles que je préfère. Et puis, il y a aussi les bagues toi et moi de la collection Je Play, joyeuses créations colorées, clin d’œil à l’espièglerie qui caractérise Korloff, que nos clientes achètent par trois, et notre dernier bébé, Lance. C'est une collection mixte de joncs en acier tressé flexible de différentes couleurs se terminant par une pointe en forme de lance en or blanc, jaune ou rose, qui peut se porter en accumulation. Son dessin correspond à notre idée du héros des temps modernes, l’homme ou la femme qui va droit au but. Lance correspond bien à ce côté audacieux de la Maison.

Ces collections sont toutes très belles mais mon coup de cœur va sans doute à Divine Fougue.

 

IH : Avez-vous votre propre taille de diamant ?

Oui, nous utilisons la taille K88, qui comporte 88 facettes, ce qui sublime la brillance de la pierre d’autant plus que la taille, la symétrie, la disposition des facettes sont parfaitement proportionnées. Nous la proposons exclusivement dans nos collections bridal. Rappelez-vous que le chiffre 8 est mythique pour nous. C’est un symbole de chance et de prospérité dans de nombreux pays, notamment en Asie, il est donc idéal pour des fiançailles. Ce chiffre revient de façon presque magique dans l'histoire de Korloff et cela nous plaît beaucoup.

 

IH : Parlez-nous de l’horlogerie Korloff

Notre offre horlogère complète la joaillerie, avec deux collections pour femmes que les Asiatiques, notamment au Japon, apprécient beaucoup. Le modèle Iconik a une forme octogonale, avec 8 côtés - encore le chiffre 8 ! – c’est notre collection urbaine, chic, colorée et facile à porter, avec un bracelet qui deviendra interchangeable dans les prochaines semaines. 

Montre Iconik, bijoux Eclat

L’autre modèle, JDT pour Joueur Du Temps, est ovale et a pour vocation de devenir un bijou qui donne l'heure grâce à un travail plus artisanal des cadrans, sous forme de mosaïque ou d’autres motifs sur lesquels nous sommes en train de travailler.  

Montre JDT, bijoux Korlove

Petit scoop ! Nous lancerons sur le marché une montre masculine en 2025. Ce sera notre seul modèle pour hommes mais il sera très fort, très distinctif, sport chic, double face et la boîte sera en titane. Cette montre, la Voyageur, s'inspire d'un ancien modèle qui existait dans la Maison, très imposant en termes de taille. Nous l’avons réduit et redessiné. Ce sera un très bel objet pour un homme. Il a vocation à intégrer des complications au fil du temps mais toujours avec le même boitier, qui doit devenir emblématique de Korloff.

 

IH : Quel lien entretenez-vous avec le monde de l’art ?

Nous ferons certainement appel à des artistes, que ce soit pour une capsule, une collection, une inspiration. Nous avons déjà formalisé un accord avec le Cercle International Pierre Soulages et nous sommes partenaires du musée. Ce choix est pertinent parce que nous voyons un lien entre le diamant noir et l'outrenoir inventé par Pierre Soulages. Celui-ci a été très innovant avec ses tableaux noirs, ses différents noirs qui, finalement, sont des couleurs et réagissent à la lumière différemment, comme nos diamants noirs. En ce qui nous concerne, l’une des innovations de notre fondateur a été l’utilisation du diamant noir bien avant De Grisogono.

Le musée Soulages à Rodez

Ce partenariat avec le musée, dont nous sommes très fiers, va nous permettre d'organiser des événements plus expérientiels pour les médias, nos partenaires et nos clients d’une façon très personnalisée, tout en contribuant au rayonnement du musée. Mais nous ne mettrons pas en scène notre Black Korloff afin qu’il garde son côté mystérieux et magique. Notre diamant est la force vive de Korloff, nous souhaitons le préserver, le garder dans son écrin et le déranger le moins possible, le laisser nous guider, nous apporter ses bonnes vibrations et faire prospérer la Maison.

 Photo de page d’accueil : François Arpels - Toutes les photos sont la propriété de la Maison Korloff - Reproduction interdite

 Parution LUXUS+ janvier 2025

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