L’Âge d’Or de Chaumet ou la révolution joaillière

Mannequin portant un ornement de bras en or sauvage et pierres dures, Chaumet, 1973, collections Chaumet.

Du 5 octobre au 5 novembre 2023, la Maison Chaumet présente sa nouvelle installation Un Âge d’Or : 1965-1985, dans les salons historiques du 12 Vendôme, sous le commissariat de Vanessa Cron.

Un Âge d’Or créatif ? Sans doute, et surtout une véritable révolution culturelle et esthétique qui claque dans les esprits tant la créativité est débridée, texturée, colorée.

Pourtant, les Maisons de joaillerie ont toujours épousé les modes, les styles et les tendances des époques qu’elles ont traversées. Chaumet n’a pas fait pas exception. C’est un nouveau récit qui s’ouvre pour le joaillier, une facette peu connue de la Maison parisienne dévoilée ici sur fond sonore et disco des années 1970.

Mai 1968 : la société occidentale se révolte

Sous la bannière du slogan « il est interdit d’interdire », des milliers de lycéens et d’étudiants défilent dans la rue, en dissidence avec une société jugée trop formelle et traditionnaliste.

Dans les années qui suivent, une nouvelle façon de vivre s’épanouit et surtout, les femmes s’affirment et gagnent en liberté. Pour la première fois, elles ont leur propre compte en banque, elles peuvent travailler librement, elles ont droit à l’avortement. S’adaptant aux mœurs de ces nouvelles conquérantes, la mode, la parure et la joaillerie font aussi leur révolution. Avec le style hippie, imprimés indiens, jupes bohême, pattes d’éph, cuissardes et tissus fluides apparaissent. Les couleurs vives s’emparent sans complexe de la mode, de nouvelles matières font irruption. 


Une explosion créative

Pour Chaumet, c’est un Âge d’Or. L’exploration créative ne connaît pas de limites, les dessinateurs et artisans joailliers qui travaillent pour la Maison jouent avec les nuances de l’or, explorent de nouvelles matières, textures et pierres.

L’or « poli Arcade » que l’on appellera « or sauvage » et dont la texture est proche de celle de la pépite, alterne parties matifiées et parties laissées à vif. Cet or semble couler comme un métal liquide, ornant des pièces extraordinairement audacieuses comme le collier Liane où il se déverse sur des lames d’or blanc poli miroir.

L’imagination des créateurs fait des pas de géant. Ainsi, Chaumet nous donne à voir des plastrons aux énormes motifs géométriques, disques ou triangles, un collier de cristal de roche et de jaspe sculpté en forme de pieuvre (un bijou offert pour témoigner d’un amour fou… et un peu angoissant) et d’autres pièces aux volumes opulents qui ont gardé une incroyable modernité.

Collier émeraude de 45 carats, or jaune martelé, un croissant en or blanc, en dessous un second croissant en platine serti de diamants, Chaumet, 1970. Paris, collections Chaumet.

Le bronze est de nouveau utilisé en joaillerie

L’exposition présente de nombreuses pièces mêlant l’or et le bronze patiné. Le contraste des couleurs et de l’aspect des deux métaux crée une rupture créative intéressante. Le collier Panthère en est une belle illustration. Avec son corps mi- bronze patiné (évidé, aminci) mi- lianes de diamant, il est étonnant de légèreté. Avec son regard d’émeraude vif, expressif, la panthère qui tient dans sa gueule une fleur de nacre, détail poétique, semble prendre vie sous nos yeux. Ces bijoux très contemporains pourraient être portés encore aujourd’hui sur une femme capable d’assumer une forte personnalité.

Collier Panthère, Chaumet, vers 1983, or, bronze, diamants, émeraudes et nacre. Paris, collections Chaumet. © Pauline Guyon – Chaumet

 La pierre dure à la fois sculpture, objet et bijou

Les pierres dures sont les nouvelles vedettes des années 1970 et 1980.

Utilisées comme des sculptures décoratives, elles servent parfois de supports de bijoux, telle cette magnifique coupe en agate dont le motif en or et lapis-lazuli se détache en broche ou ce cheval de chasse Atomic en onyx quittant son socle de jaspe rouge pour devenir un clip. Une fois reposés sur leur support, les bijoux redeviennent des objets décoratifs.

Coupe en agate polie, bordure agrémentée d’une fleur, Chaumet, vers 1973, or, agate, lapis-lazuli. Paris, collections Chaumet.

Serties sur les créations, les pierres dures constituent non seulement une joaillerie plus accessible mais une source d’inspiration inépuisable et pleine de fantaisie.

Adulées dans les années 1970, elles composent une bonne partie des 120 pièces de l’exposition, dont la moitié appartient au patrimoine de la Maison. Boucles d’oreilles Ananas de boules de turquoise, broche crabe avec sa carapace de malachite et sa tête piquée de jaspe sanguin, bijoux en tranches d’améthyste rosée ou de tourmaline melon d’eau (rose à l’intérieur, verte à l’extérieur), les nombreuses pièces serties incitent à toucher, sentir les aspérités, les jeux de volumes ou la douceur de la pierre polie. La transformation des gemmes de Chaumet est, la plupart du temps, confiée à Robert Lemoine, glypticien d’excellence qui sait en exprimer toute la sensorialité.

L’autre innovation, ce sont des objets atypiques, fabriqués dans la tradition des orfèvres et des joailliers.

Chaumet imagine, en collaboration avec la Maison Baccarat, son Bestiaire Fabuleux, composé d’animaux en cristal. Ainsi le renard Filou, la panthère Adonis, Cléo le chat ou encore Savane le zèbre sont sculptés dans la matière transparente et habillés de vermeil. L’exposition de ces objets précieux au Musée de la Chasse et de la Nature en 1971 va enchanter le Tout-Paris.

Collection Bestiaire fabuleux, Chaumet et Baccarat, 1971, cristal, vermeil, verre et oeil-de-tigre. Paris, collections Chaumet.

Durant la soirée de lancement mémorable du Bestiaire Fabuleux au Musée de la Chasse et de la Nature, les mannequins portent des masques en forme de têtes d’animaux, faisant écho à l’insolite bestiaire masqué de vermeil.

Une folie olfactive et joaillière

Le flacon du parfum 1000, dessiné pour Jean Patou en 1972, est une pièce phare de l’exposition. Aussi foisonnant que la fragrance qu’il contient, il est à la mesure de la démesure du parfum. En verre recouvert de métal doré et laqué, avec ses billes de pierres qui dupliquent le chiffre 1000, il est typique de l’opulence très colorée des années 1970. 

Flacon de parfum 1 000, Chaumet pour Jean Patou, 1974, métal doré, laque et verre. Paris, collections Chaumet.

Sur les 6 projets, c’est pourtant le dernier et … le plus sobre qui a été retenu. On imagine les 5 autres ! Le flacon ne se faisait que sur commande et il était livré aux clientes en limousine. Une version joaillière unique, sertie de diamants et de pierres, appartient aujourd’hui à un collectionneur new-yorkais.

Regard sur les grands artistes de Chaumet

L’exposition Un Âge d’Or de Chaumet est aussi l’occasion de rendre hommage aux grands créateurs de la Maison.

Pierre Morin, véritable sculpteur de la matière, rejoint la Maison en 1962. Il en dirigera la création pendant 25 ans. On lui doit le Bestiaire Fabuleux ainsi que de nombreuses créations en pierres dures que son imagination fertile transforme sans limites, comme par exemple le collier Téléphone où des boules de corail blanc figurent un cadran de téléphone de l’époque. Il est aussi l’auteur de la flamboyante parure Liane, une preuve que la démesure ne l’effraie pas et signera un style nouveau chez Chaumet. Ses trouvailles et collections personnelles seront plusieurs fois exposées à l’Arcade.

Pierre Sterlé intègre Chaumet en 1976. Avec son esthétique très reconnaissable, il est connu pour la finesse et la légèreté de ses dessins, ses bijoux effilés, les souples tresses d’or de ses « fils d’ange » qui donnent de la vie et du mouvement à la moindre de ses créations. L’esprit de légèreté se ressent particulièrement dans ses broches oiseaux, tel ce martin-pêcheur qui semble comme saisi en plein vol. Les plumes, d’une extrême délicatesse, naissent du façonnage du métal, successivement tressé, gravé, brossé, tricoté.

 

L’Arcade, une boutique galerie

Avec la révolution sociale de mai 1968, la troisième génération des frères Chaumet devine qu’elle doit repenser la relation à la clientèle et surtout à la femme qui renaît dans un cocon de liberté. Le 17 juin 1970 s’ouvre l’Arcade, au 12 place Vendôme, qui lui est dédiée. Espace d’un genre nouveau, entre galerie de bijoux et concept-store avant l’heure, l’Arcade ouvre ses portes à côté de la boutique historique de la Maison.

Contrairement à la haute joaillerie qui se vend avec un certain cérémonial et reste le territoire des hommes, à l’Arcade, les vendeuses sont des femmes, toutes habillées en Nina Ricci. La façade en aluminium anodisé et les meubles en laque de Chine étonnent et tranchent avec le style de la place. Les clientes viennent acheter ou simplement passer un moment festif. Cette boutique où les parois coulissent, où les vitrines de plexiglass se déplacent, animée au sous-sol par des jeux de son et lumière est avant tout une sorte de club où l’on vient se détendre. C’est ici que s’exposent les objets joailliers de Chaumet. Le flacon extravagant du parfum 1000 de Jean Patou y trouve sa place en 1974. Chaumet a inventé avant tout le monde – et c’est de nouveau très en vogue - la boutique lieu de plaisir et de divertissement qui n’est plus seulement un lieu d’achat. Loin de n’être qu’un épiphénomène, l’Arcade ne fermera ses portes qu’à la fin des années 1980. Jamais un joaillier n’était allé aussi loin.

L’Arcade en 1975

Chaumet – 12, place Vendôme, Paris Ier

Ouverture au public du jeudi 5 octobre

au dimanche 5 novembre 2023,

de 11 heures à 19 heures,

du mardi au samedi, sur réservation :

www.chaumet.com/fr_fr/age-d-or

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