En janvier, la joaillerie a encore une fois ponctué les jours magiques de la Fashion Week, stimulée par la présence effervescente des golden people de la mode, journalistes et VIP. Des collections parfois courtes ont rendu hommage à la nature et à la féminité mais aussi aux pierres sublimes que la terre offre à la joaillerie.
Chanel Joaillerie ne manque jamais d’inspiration pour montrer les multiples facettes de son riche patrimoine : l’invention d’un style, la personnalité de Coco Chanel, son enfance, ses amis, les objets et talismans qui ont peuplé sa vie intime et que la Maison a précieusement conservés… tout est matière à faire revivre l’âme de la couturière. Dans la nouvelle collection Coco avant Chanel, onze parures portent les noms de onze femmes qui furent proches et intimes de Coco avant 1920, avant qu’elle ne devienne célèbre. Jeanne, sa mère, qu’elle a si peu connue, Suzanne, qui l’introduisit dans le beau monde et d’autres encore, peuplent cette collection comme de doux esprits bienfaiteurs. Faite de rubans et de dentelles à peine esquissés, tout au plus devinés, les pièces de Coco avant Chanel évoquent finesse et délié, douceur et légèreté. Elles sont serties de gemmes aux teintes délicates, morganites rose poudré, pierres de lune diaphanes ou saphirs Padparadscha rose-orangés. La virtuosité se lit dans la souplesse de l’or qui prend la forme d’un ruban ou d’une dentelle vaporeuse, si bien rendus dans le métal inflexible.
Sous le crayon de Victoire de Castellane, dans sa collection Dior et d’Opales, Dior Joaillerie a choisi de parler d’une pierre magique, l’opale. Elle a la magie de la couleur changeante à chaque heure du jour et le charme de l’insaisissable. Pailletée sous le soleil, elle se pare de mille nuances de gris sous un ciel d’orage. « Quand je la regarde, je vois la terre de loin, les océans, les archipels, les reflets des étoiles sur les flots » dit-elle.
Les opales sont serties sur des plumes d’or dans les pièces nommées Petit Panache ou entourées de pierres crépitant de couleurs dans la ligne Majestueuse Opale, rappelant l’exubérant esprit de Dear Dior. Dans des « bracelets qui donnent l’heure » – on ne dit pas montres à secret – un cadran de diamant s’abrite sous les versatiles opales couleur de lait, cobalt ou mandarine, sans doute les plus belles que l’on puisse voir place Vendôme en ce moment.
Buccellati et Giampiero Bodino, les deux joailliers italiens, ont choisi l’opulence des pierres de couleur pour leurs créations. Buccellati s’est associé au couturier Giambattista Valli pour faire défiler sur le catwalk une énorme aigue-marine de 130 carats montée sur un collier ainsi qu’une manchette sertie d’une plantureuse et magnifique kunzite rose.
Entourées d’un halo de diamants, la pierre semble rayonner de tous ses feux.Giampiero Bodino se lance dans l’horlogerie et orne ses premières montres à secret de jetons de diamants blancs et spinelles noirs pour la première (Mosaico), d’une fleur sertie d’un diamant jaune pour la deuxième (Primavera) et d’un cabochon d’émeraude d’un vert intense de 11.49 carats pour la troisième (Rosa dei Venti). Cette opulence chaleureuse, colorée et joyeuse séduit tant elle évoque la Dolce Vita.
Boucheron et Chaumet se sont inspirés tous deux de leur patrimoine pour présenter, le premier, des bijoux sur le thème de la Nature Triomphante, le second sur le thème du nœud et du ruban. Dans la collection Lierre de Paris de Boucheron, les feuilles de lierre ont le trait pointu, acéré, vif et précis. Entièrement serties de diamant, elles sont montées en trembleuses pour vibrer de lumière à chaque mouvement, comme dans le collier de haute-joaillerie en forme de point d’interrogation inspiré d’un modèle de Frédéric Boucheron datant de 1888. Serti de 1246 diamants, le prestigieux bijou a demandé 1060 heures de travail. La collection était présentée dans un décor baigné d’une lumière d’été zénithale filtrant par des panneaux ajourés, surprenant en cet hiver glacial. Boucheron voulait-il ainsi rappeler qu’il est le « joaillier de la lumière» ?
Chaumet joue d’un air mutin sur le thème de l’Insolence, au point qu’il en a nommé sa collection. Insolence est l’histoire d’un jeu, d’un cache-cache amoureux, d’une rencontre entre un ruban de diamant et une cordelette torsadée en or rose. L’art du noué-dénoué, le ruban que l’on tire à peine pour en faire glisser la soie, la malice et la fausse innocence cachées dans ce geste coquin, sensuel et désinvolte s’expriment pleinement dans cette collection. Le nœud est dessiné avec une délicatesse épurée, le bijou aux formes graciles n’est pas sans rappeler la silhouette effilée des célèbres aigrettes de Chaumet. C’est d’ailleurs en hommage aux bijoux de sentiments, un thème cher à la Maison, que Chaumet a décliné cette délicate collection tout en or rose, or blanc et diamants. Aux happy fews qui ont eu la chance de voir Insolence en avant-première, le joaillier a révélé plusieurs gouaches de broches nœud issues de son patrimoine fin XIXème – début du XXème siècle qui esquissaient déjà l’idée d’un gracieux noué-dénoué.
La magie de la joaillerie tient aussi à une chose qui n’appartient qu’à elle et à nul autre métier du luxe, la matière première vient de la terre, non du travail humain. Les mines de diamants se découvrent, elles sont exploitées puis s’assèchent et disparaissent, laissant parfois des légendes, comme celle de Golconde, qui fournit jadis la cour de Louis XIV. Autant dire que les diamants bruts de plusieurs centaines de carats sont extraordinairement rares, et que chaque découverte est un petit séisme dans le monde des diamantaires. L’an dernier, le joaillier De Grisogono montrait furtivement son acquisition « The Constellation », un brut de 813 carats, à la Biennale des Antiquaires. Cette année, Chopard dévoile son fabuleux diamant de 342 carats trouvé dans la mine de Karowe au Bostwana et baptisé Queen of Kalahari. De cette « pierre absolue » de couleur (D) et pureté (F) parfaites, Chopard va tirer 23 diamants dont 5 de plus de 20 carats, sertis sur 6 pièces de haute joaillerie. C’est la plus belle parure jamais sortie des ateliers de Chopard. Elle a pour nom « Le Jardin de Kalahari », extraordinaire jardin où la poésie, la lumière et l’éclat sont les seules règles du jeu.
Pendant cette semaine riche, qui n’a pas eu le regard aimanté par De Beers Joaillier avec ses diamants rares aux couleurs extravagantes ? Les nuances indéfinissables et sublimes se distillent au cœur même du diamant, comme dans cet étrange diamant vert avec une pointe de gris, de bleu, de jaune pailleté… Ces pierres sont une émotion.
Enfin, une très belle surprise nous attendait avec l’enfant chéri de la Russie, le joaillier Ilgiz F. dont les pièces évoquent la virtuosité d’un Fabergé ou le style naturaliste et Art Nouveau d’un Lalique.
Né à Kazan et formé à l’art de la peinture, Ilgiz F., de son vrai nom Ilgiz Kazulzyanov, maîtrise à la perfection l’émail à chaud dont il orne ses pièces d’une rare créativité. Certaines font partie aujourd’hui de collections privées ou des archives nationales du Kremlin. La finesse du détail de ses émaux se révèle à la loupe dans les écailles, plumages, tiges, nervures ou pétales, les dégradés de couleur dans les minuscules éléments du bijou, le travail de gravure et de ciselure de l’or dans lequel la Russie a toujours excellé. Unique en son style à notre époque, Ilgiz F. est un surdoué de la joaillerie. Chacune de ses pièces est une histoire, une poésie, qu’il a discrètement présentées sur rendez-vous pendant la semaine de la Mode.
Marquées par une signature de finesse et de légèreté, les collections de la Fashion Week semblent se recentrer vers une clientèle européenne qu’elles avaient un peu perdue de vue. La référence au patrimoine historique, à un storytelling authentique, intuitif et vibrant d’émotion était présente, vivante, palpable dans les pièces de la plupart d’entre eux. N’est-ce pas ce que l’on attend ce ces belles Maisons, des récits modernes qui reflètent leur riche histoire et emportent l’attachement et la fidélité des femmes ?
Isabelle Hossenlopp
Publication Entre luxe & prestige Mars 2016
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