Les riches heures de Coco Chanel
En 1993, quand Chanel installe une boutique place Vendôme et dévoile une collection de haute-joaillerie, personne ne s’y attendait. Dans le sérail jalousement gardé des joailliers plus que centenaires, il fallait oser lancer des joyaux de diamants sans aucune légitimité. Sans légitimité ? Non, pas vraiment, car en novembre 1932 déjà, Coco Chanel avait présenté une étonnante collection de bijoux de diamants, collier comète enlaçant le cou pour retomber en pluie d’étoiles sur le buste, broche nœud, diadème de plume, manchette à franges descendant sur la main…
« Je veux que le bijou soit aux doigts de la femme comme un ruban. J’ai voulu couvrir les femmes de constellations » dit-elle. Coco Chanel avait libéré la femme du corset et lui avait donné une allure de liane un peu boyish. Elle avait voulu aussi l’affranchir d’un port du bijou trop codifié, prenant ainsi à revers la morosité et l’angoisse qui avaient suivi la grande crise. Des années plus tard, c’est en s’inspirant de ces « riches heures » de la vie de Coco Chanel que la Maison de Couture retrouvera le chemin de la joaillerie.
Les collections contemporaines s’inspirent avant tout de ces trésors de 1932, les diamants foisonnent sur des comètes toujours redessinées, mais ils explorent d’autres thèmes chers à Chanel, tels que le lion qu’elle admira tant à Venise, les cabochons de couleur byzantins, les perles qu’elle ne quittait jamais, la croix de Malte, les camélias qu’elle mettait partout sur ses modèles, les laques de Coromandel de son appartement du Ritz, enfin le noir et le blanc, sa signature, « l’accord parfait » selon elle.
En 2014, Chanel Joaillerie lance pour la première fois une collection non figurative, évoquant les années 20 et le tracé rigoureux et typique de l’Art Déco. Les parures géométrisent le diamant, les perles et l’onyx. Cette somptueuse collection Café Society évoque la société flamboyante, joueuse et bohème que fréquentait Coco Chanel. Elle qui préférait le travail à la frivolité avait pourtant compris que c’était là qu’elle rencontrerait ceux qui étaient, comme elle, les vrais aristocrates, ceux du goût et de l’intelligence (2).
Dior Joaillerie, un héritage parfaitement assumé
Quelques années après Chanel, la Maison Dior se lance dans la joaillerie à son tour. Et quel contraste! A l’inverse de Coco Chanel qui a effilé les femmes en silhouettes longilignes, Christian Dior rêvait de les épanouir comme des fleurs « des femmes-fleurs, épaules douces, bustes épanouis, tailles fines comme des lianes et jupes larges comme des corolles ». Des formes que l’on retrouve dans les collections de joaillerie aujourd’hui. La nature et les jardins ont toujours été l’inspiration première et essentielle de la joaillerie Dior.
Dans ses mémoires, Christian Dior parle souvent de fleurs et de jardins, du soin qu’il apporte à s’en occuper et à les soigner. Les fleurs sont partout, elles s’exhalent au cœur de ses fragrances, elles ornent ses cahiers de dessins, les broderies, les étoffes et les motifs de ses robes. Dans la villa de son enfance à Granville, en Normandie, il conçoit un jardin aux multiples essences et imagine la roseraie, à l’aplomb de la mer. La rose, sa fleur préférée, est sublimée dans les collections Rose Dior Bagatelle, Bal des Roses (où chacune des roses porte le nom d’une robe de bal créée par Christian Dior. Dans la collection Rose Dior Pré Catelan, les pierres sculptées en rose ont la transparence d’une porcelaine. La collection Milly-la-Forêt évoque son jardin d’adulte, avec des modèles laqués éclatants et sertis de pierres précieuses qui ont la beauté du diable car ce sont des fleurs carnivores.
Cette créativité folle, on la retrouve aussi dans les bagues Incroyables et Merveilleuses, dont le serti des pierres de centre, énormes et pures comme un lac, sont travaillées comme on composerait un tableau, fourmillant de détails comme fourmille la vie de la nature. Depuis 2 ans, la Maison Dior a temporairement quitté le monde des jardins pour entrer dans la haute-couture avec les collections Archi Dior et Soie d’Or. Eblouissant ! Admirable travail de minutie qui reproduit en diamants les mouvements, les textures irrégulières des étoffes un peu capricieuses, les rubans, les moires rigides et les soies fluides, les volantés, les drapés, les plissés… Les reflets se transforment en dégradés de pierres précieuses. Les rubans de diamants dénoués flottent, juste retenus par une pierre, somptueuse.
Avec ces dernières collections de pièces sublimes et pour la plupart uniques, Dior a réellement inventé une nouvelle joaillerie.
L’horlogerie Dior est dans le sillage. Christian Dior adorait se déguiser, ce qui l’amusait bien pour se rendre au bal. Cette passion pour la parure et la flamboyance de la robe de bal, on la retrouve dans la montre Dior VIII, dont la masse oscillante semble danser sur le cadran, parée de soie, de dentelle, de nacre, de plumes, d’élytres, de diamants…
« J’ai toujours considéré l’exercice de mon métier comme une sorte de lutte contre tout ce que notre temps peut avoir de médiocre et de démoralisant » disait Christian Dior. Eh bien Monsieur Dior, l’héritage a été parfaitement assumé !
L’empreinte précieuse
D’autres couturiers ont franchi le pas de la joaillerie, et s’ils n’ont pas suivi la stratégie de Chanel ou de Dior, ils ont donné une empreinte précieuse à leur Maison. Parmi eux, Gucci reprend les thèmes iconiques et historiques de la marque : le mors de cheval, la chaîne marine, le bambou, le clou ou encore le monogramme ‘GG’. Les bijoux Gucci ont la finesse d’un design épuré et fluide souligné par un sertissage minutieux. Le clou à tête carrée, qui appartient au monde de l’équitation, figure dans les collections de Gucci depuis 1960.
Le mors de cheval Horsebit fait partie des motifs les plus emblématiques de la Maison. Tout d’abord utilisé sur les sacs, mocassins et accessoires, il signe véritablement la joaillerie Gucci. Et comme, dans notre inconscient, le mot Italie signifie couleurs, ce sont de lumineuses pierres fines que brident les mors en diamants sur les bagues Horsebit Cocktail. La dernière collection de Gucci, Flora, est entièrement dédiée à une nature gracieuse. La pièce phare de cette collection est un collier en or blanc et rose, dont la farandole de fleurs et de papillons est minutieusement sertie de diamants, rehaussée d’émail blanc et de temps à autre ponctuée d’un mors, toujours là pour signer une pièce.
Traversons l’Atlantique. Le couturier américain Ralph Lauren a également lancé une collection de bijoux, en lumière dans ses plus belles boutiques, mais sur laquelle il reste assez discret. Bien que la maison soit récente, elle s’inspire énormément de la période Art Déco et ses bijoux sont architecturés par une géométrie de lignes gracieuses ou se mêlent l’or, les diamants et les pierres dures et ornementales dont les couleurs un peu froides font vibrer le métal trop sage. La période Art Déco est aussi l’âge d’or de la high society américaine de la côte Est, autre source d’inspiration majeure de la Maison. L’univers de l’équitation en fait partie, d’où les motifs de tête de cheval et d’étrier. La montre Stirrup (étrier) est sans doute la plus connue et la plus emblématique de cette joaillerie précieuse et très réussie. Les beaux volumes, le chic classique, raffiné et discret des bijoux de Ralph Lauren donnent sans conteste au couturier une signature américaine très identifiable.
Joailliers et couturiers
A côté des couturiers joailliers, il y aussi les joailliers et les couturiers qui signent des alliances éphémères pour subjuguer leur sens de la parure et de la beauté. Lalique joaillier et Christophe-Alexandre Docquin s’associent pour présenter ensemble des bijoux et des robes de mariée haute-couture à l’automne, Alexandre Vauthier a dessiné pour Mellerio sa dernière collection de joaillerie, et Loris Paris collabore avec le créateur de mode Christophe Guillarmé dont les robes ne sont que féminité et fluidité terriblement sensuelle. Une sensualité qui se retrouvera dans la prochaine campagne de communication du joaillier Loris Paris, réalisée les bijoux portés sur des femmes habillées par Christophe Guillarmé. En choisissant le plus glamour des couturiers, Loris Paris a voulu faire le pari de la modernité et de la féminité. Un pari déjà gagné.
Isabelle Hossenlopp Parution Entre Luxe & Prestige septembre 2015