La Tank de Cartier, voici sans doute le modèle qui a une des plus longues histoires en horlogerie. Redessinée, modernisée, étirée en hauteur ou en largeur, effilée ou compactée, la Tank a perduré et franchi le siècle sans rien perdre de sa personnalité. La Maison Cartier a toujours veillé à garder l’essentiel de son style si particulier. Très moderne pour son époque, cette montre rectangulaire préfigurait, à l’orée des années 20, l’arrivée de l’Art Déco.
La première Tank de 1917 ressemble à un carré dans un rectangle. Louis Cartier l’a voulue à l’image des chars de la première guerre mondiale : deux brancards verticaux plats à arêtes vives entourent le cadran, rappelant les chenilles d’un char vu du ciel.
Malgré les changements, la Tank gardera toujours une forme inspirée de ce boîtier initial, géométrique, anglé, épuré avec ses chiffres romains. Dans les années 20, l’influence asiatique et le goût pour l’exotisme qui marqua si fortement les créations joaillières se retrouve dans la Tank chinoise, dont le boîtier est architecturé comme le portique d’un temple chinois.
Puis une nouvelle Tank naît la même année dans une vision plus fluide, la Tank Louis Cartier, plus rectangulaire, aux attaches adoucies. Un rectangle qui ne cessera de s’étirer dans une nouvelle stylistique, accompagnée d’une innovation majeure, le boîtier réversible. La Tank basculante apparaît en 1932 (elle est contemporaine du modèle Reverso de Jaeger-LeCoultre et d’un modèle similaire chez Patek Philippe) à la fois inspirée de la Tank cintrée et annonçant la mini Tank allongée des années 60 ou la Tank américaine de 1989. Le boîtier basculant permettait de retourner le cadran pour le protéger pendant les épreuves sportives. A cette époque, garder une montre en or pendant le sport était un must chez les dandys tout comme chez les sportifs aguerris. (1)
Les années 70 marquent un tournant avec la Tank Must sans index et qui se démocratise avec un boîtier vermeil… du jamais vu chez Cartier ! Le grand joaillier descend dans la rue, popularisant à un prix accessible son modèle fétiche rutilant de cadrans de toutes les couleurs – on est en plein flower power – ce qui contribuera à répandre sa notoriété comme une traînée de poudre. Une amusante parenthèse dans l’histoire de Cartier qui n’aura de cesse de remonter par la suite vers les sommets de l’horlogerie. Après la période Must, Cartier revient vers ses basiques avec une belle réussite, l’élégante Tank américaine au bracelet d’écailles d’or fluides, étirée, bombée et de surcroît étanche. La Tank française, plus trapue, faussement carrée ainsi que la Tank anglaise à la géométrie parfaite continue à jouer en permanence sur les formes du boîtier. Jamais tout à fait la même, jamais tout à fait une autre. (2 et 3). Dernière née, la très masculine Tank MC franchit un pas de géant dans la modernité avec une version squelette en palladium dotée d’un mouvement manufacturé par Cartier. (4)
Cartier prend une place grandissante parmi les horlogers de la complication et des métiers d’art. La Tank reste encore aujourd’hui, 100 ans après sa naissance, une référence du bon goût en horlogerie.
Isabelle Hossenlopp
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