Joséphine et Napoléon, les bijoux impériaux au prisme de Chaumet

En 2021, le bicentenaire de la mort de Napoléon a donné lieu à de nombreux événements littéraires et artistiques, questionnant l’héritage de l’Empereur sous l’angle de son apport positif à notre civilisation (les arts, les sciences, les institutions, l’éducation…) comme sous sa part d’ombre (le régime policier, les guerres). La Maison Chaumet a décidé d’explorer une face solaire de Napoléon et Joséphine, celle d’un couple protecteur des savoir-faire français, amoureux d’art, de beauté et de joaillerie jusqu’au culte du faste.

BARON FRANÇOIS GÉRARD (1770-1837) — L’impératrice Joséphine en habit de sacre – Huile sur toile, 1807. Collections du château de Fontainebleau


En 2021, le bicentenaire de la mort de Napoléon a donné lieu à de nombreux événements littéraires et artistiques, questionnant l’héritage de l’Empereur sous l’angle de son apport positif à notre civilisation (les arts, les sciences, les institutions, l’éducation…) comme sous sa part d’ombre (le régime policier, les guerres). La Maison Chaumet a décidé d’explorer une face solaire de Napoléon et Joséphine, celle d’un couple protecteur des savoir-faire français, amoureux d’art, de beauté et de joaillerie jusqu’au culte du faste.

L’histoire nous ramène aux origines de la Maison qui ne s’appelait pas encore Chaumet mais Nitot, du nom de son fondateur Marie-Etienne Nitot, joaillier impérial.

LOUIS LÉOPOLD BOILLY (1761-1845) – Portrait de François-Régnault Nitot – Huile sur toile, circa 1810. Collection privée

Chaumet a mis 3 ans à réunir les 150 pièces de joaillerie, tableaux, objets d’art, lettres ou documents d’arts graphiques qui jalonnent l’exposition JOSEPHINE NAPOLEON, une histoire (extra)ordinaire. Celle-ci se déroule dans les salons historiques du joaillier au 12, place Vendôme. Dans son hôtel récemment restauré et qui ouvre enfin au public son salon des Diadèmes longtemps réservé aux initiés, Chaumet invite à découvrir des pièces jamais ou rarement montrées, trop fragiles ou trop difficiles à faire voyager. La plupart sont extérieures au patrimoine de Chaumet. Elles viennent de collections privées – la Collection inaliénable de la Maison royale du Danemark (outre le Danemark, les derniers descendants de la famille impériale se retrouvent dans les Maisons royales de la Suède, de la Belgique et de la Norvège), la collection NBC / Bruno Ledoux et la Collection Françoise Deville – d’institutions culturelles comme la fondation Napoléon, le musée du Louvre, le château de Fontainebleau, le musée national des Châteaux de Malmaison et Bois-Préau, le musée Masséna de Nice, le musée Carnavalet ou encore la fondation Dosne-Thiers. Un tiers des pièces exposées sont des inédits.

Les symboles du pouvoir

L’histoire d’amour de Joséphine et Napoléon sert de fil conducteur à l’ensemble de l’exposition. La relation épistolaire entre les deux époux, lettres d’amour et mots tendres dont l’échange se poursuivra bien après leur divorce pour raison d’Etat – l’absence d’héritier – montre leur fort attachement l’un à l’autre et leur affinité profonde.  L’influence de Joséphine sur Napoléon a sans doute été décisive sur bien des plans. Cette femme de tête, intelligente et fine négociatrice, était réputée pour son tempérament réfléchi, ce que révèle l’écriture posée et régulière des lettres à Napoléon qui sont exposées.

C’est elle, en particulier, qui va conseiller le futur Empereur sur les choix des motifs symboliques, exprimant la puissance, dans la parure. Choix d’autant plus importants que le pouvoir de Napoléon ne repose pas sur une hérédité légitime. L’abeille, qui remonte à Childéric Ier, père de Clovis, le blé, le laurier en particulier, ce symbole de la Rome impériale qui donnera à Napoléon cette figure de « nouveau César » qui frappe dans nombre de tableaux et de sculptures, sont autant de signes de sa puissance.

Ces motifs se retrouveront tout au long de l’histoire joaillière de la Maison jusqu’à nos jours. En témoignent une aquarelle du début du XIXème siècle représentant une couronne aux motifs de blé, d’étoiles, de roseaux ou encore cette tiare de 1811 en platine et diamants d’une grâce sublime, avec ses motifs de blé qui sont comme « saisis », balayés par le vent et plus tard, en 1910, l’esquisse du diadème dit « Crèvecœur », d’une exquise légèreté.

FRANCOIS-REGNAULT NITOT (1779-1853) – Diadème Epis de Blé, or, argent, diamants, circa 1811. Paris, Collection Chaumet

Considérés comme de véritables symboles d’abondance et de fécondité, des épis de blé en or sertis de diamant se cousaient sur les robes de soirée, habillaient cous, corsages et cheveux ou s’offraient aux diplomates et aux obligés de l’Empereur.

Prestige des pierres et joyaux

Les pierres et les joyaux font partie de la parure prestigieuse que se doit d’exhiber l’Empereur. Napoléon tenait à rendre à la France son aura de centre de luxe et de création de la mode, comme l’avait fait Louis XIV, insatiable amateur de luxe et en particulier de diamants de Golconde dont la pureté légendaire contribuait à faire rayonner son aura politique. Les commandes de Joséphine et Napoléon, porcelaine, soies, étoffes et accessoires, alimentent les ateliers de luxe français. Napoléon tient à ce que les femmes commandent leurs atours auprès des soyeux de Lyon tant il est soucieux de soutenir cette industrie qui fait rayonner le savoir-faire français.

Pour préparer son couronnement, le futur Empereur fait appel à François-Regnault Nitot, fils de Marie-Etienne Nitot. En effet, ce dernier est connu pour sa science extraordinaire des pierres, symboles éternels et intemporels de pouvoir. Napoléon fera sertir son épée de sacre du Régent, un diamant emblématique des Bourbons de plus de 140 carats, très pur, accompagné de 41 autres diamants sur la garde et la poignée. Plus tard, il fera dessertir et remonter ce diamant somptueux sur le glaive impérial, plus imposant encore que l’épée. Le Régent, originaire de Golconde, témoin magnifique d’une histoire de France chahutée, est aujourd’hui exposé au Louvre, dans la galerie d’Apollon. 

La passion de la parure

S’il s’adonnait volontiers aux fastes de la parure, Napoléon entrait parfois dans des colères noires, interdisant l’accès de la Malmaison aux fournisseurs lorsqu’il estimait Joséphine trop dispendieuse. L’Impératrice commanda effectivement de nombreux bijoux à Marie-Etienne Nitot. Certainement tout aussi amoureuse de parures et de bijoux que Marie-Antoinette, elle aurait réalisé des achats se chiffrant en millions d’euros d’aujourd’hui.

Joyaux d’apparat et bijoux plus intimes se côtoient dans ses possessions, les premiers pour les cérémonies et le faste, les seconds pour la vie quotidienne, loin des regards mais où il était impensable de ne porter aucun bijou. Pour le faste, une parure de diamants et de perles constitue un rare témoignage.

Elle se compose du collier de Leuchtenberg, double rang de perles fines ponctué de 7 volumineuses perles gouttes chapeautées de diamants et de boucles d’oreilles assorties. Témoin du goût de Joséphine pour les perles fines et les motifs de poire, cette paire de boucles d’oreilles apparaît sur de nombreux portraits de l’Impératrice.

 

Les perles fines sont alors considérées comme un trésor, plus précieux que le diamant. Celles du collier de Leuchtenberg sont détachables, préfigurant une tradition du bijou transformable qui module – encore aujourd’hui – les parures en fonction des moments de la journée et de la vie sociale.

NITOT – Boucles d’oreilles perles gouttes, or, argent, perles fines, diamants – Début du XIXe siècle , Paris. Musée du Louvre


Dans la vie intime, les « bijoux de jour »

Dans la vie intime, loin de la cour, les parures appelées « de jour » se font plus simples, en or, perles, intailles ou camées sculptés dans l’ivoire, le coquillage ou les pierres (agates, malachite, cornaline…).

Les créations de Nitot s’exposent comme de rares trésors aux yeux du public fasciné par la finesse du travail sur ces minuscules sculptures. A l’image de la Parure aux camées de malachite que Joséphine offre à sa belle-fille Auguste-Amélie de Bavière et qui constitue l’un des très rares ensembles complets parvenus jusqu’à nous.  13 pièces en or, perles, écailles de tortue et camées de malachite composent cet ensemble réunissant tiare, colliers, broches, épingles à cheveux, et deux bracelets allant toujours par paire en symétrie parfaite. 

A ces pièces d’exception s’ajoutent les plus anciennes montres connues de la Maison Chaumet, datant de 1811 et équipées d’un mouvement Breguet. Allant toujours par deux comme les bracelets, cette paire de montres-bijoux donne, pour l’une, l’heure, pour l’autre, le calendrier.

 

Démarquez-vous

L’influence de l’Antiquité

L’intérêt pour l’Antiquité dans l’art et la joaillerie s’est développé dès le milieu du XVIIIème siècle grâce aux découvertes archéologiques à Herculanum et Pompéi. Sous l’influence du style de l’Antiquité, la glyptique ou l’art de graver les gemmes en creux (intaille) et en relief (camée) connaît un réel engouement. Le camée s’affiche partout, sur les bijoux, les ceintures, les meubles…*

Témoin de cette mode, la ceinture dite « gothique » fut dessinée spécialement pour mettre en valeur le camée rare, d’époque hellénistique, représentant Apollon triomphant du serpent Python. Il s’agit d’un cadeau de Pauline Borghèse, sœur préférée de Napoléon, à Marie-Louise, seconde épouse de l’Empereur. Très attachée à ce bijou-accessoire unique en son genre, orné des symboles impériaux de l’abeille et de l’étoile, tissé de microscopiques perles fines, l’impératrice Marie-Louise le conserva jusqu’à la fin de sa vie.

Pièce rare, prodigieux travail de joaillerie, extrêmement fragile, cette ceinture ne sera sans doute plus montrée. L’exposition de la Maison Chaumet est l’une des dernières occasions, sinon la dernière, de voir cette pièce exceptionnelle. 

Intailles et décors à palmettes en or ciselé sont caractéristiques du style Empire. Nitot réalisera pour Joséphine, entre autres chefs-d’œuvre, une parure dont les intailles représentent des scènes antiques et les dieux de l’Olympe. La Victoire ailée couronne la déesse Abondance, une Bacchante, évoque les plaisirs et la fête. On aperçoit deux Amours au centre de la broche. Autant d’évocations que l’Impératrice portait comme des symboles qui lui étaient intimement chers.

L’expédition d’Egypte (1798 – 1801) marquera aussi une nouvelle inspiration : l’égyptologie. Sphynx, pyramides et scarabées, motifs inspirés de l’Egypte ancienne, ornent désormais les objets et les bijoux à la mode. Le livre de Vivant Denon « Voyage dans la Basse et la Haute Egypte » (1802) devient une source d’inspiration pour les créateurs de joaillerie *.

 

L’Impératrice botaniste

Pour aimer le faste et comprendre intuitivement le sens et l’importance des symboles de pouvoir, Joséphine n’en est pas moins profondément attachée à la nature. Lorsqu’elle acquiert avec Napoléon le Château de la Malmaison en 1799, elle se révèle passionnée de botanique et d’exotisme. Elle acclimate des plantes rares venues du monde entier dans la serre de 50 mètres de long qu’elle a fait construire, première serre chaude d’Europe. Au milieu d’animaux exotiques élevés en liberté dans le parc, tels que cygnes noirs, kangourous, singes, lamas, faisans dorés de Chine, s’épanouissent 200 plantes inconnues en France.

Mais surtout, Joséphine fait planter 250 espèces de roses, dont certaines d’origine chinoise ou d’autres contrées d’Asie, ce qui transforme le parc de la Malmaison en véritable conservatoire horticole. Curieux et botanistes viennent de toute l’Europe visiter ses jardins. A la demande de l’Impératrice, l’illustrateur P.J. Redouté réalise un ouvrage complet sur les roses qui fera longtemps référence.

Les nombreuses campagnes de Napoléon n’ont pas été étrangères à cet enrichissement des espèces rares, rapportées par les savants et chercheurs qui se joignaient aux expéditions militaires. Joséphine n’hésitait pas à préempter les spécimens dès leur arrivée dans les ports, avant qu’ils ne soient remis au Museum national d’histoire naturelle.

De nombreux bijoux exposés soulignent ce goût pour un romantisme bucolique, qui se transmettra à Eugénie de Montijo et Napoléon III : une parure de micromosaïques en or, perles, émail et pâte de verre, dont le travail témoigne d’une miniaturisation extraordinaire pour l’époque (1811), une broche trèfle en émail vert translucide, une broche bouquet d’hortensias en diamants, ultime pièce d’une parure complète ayant appartenu à Hortense, la fille de Joséphine ou encore une tiare de fleurs en émeraudes et diamants transformable en broche et ornements de cheveux.

 

L’héritage naturaliste et floral chez Chaumet

Témoignage historique d’une époque, d’un style, du goût de Joséphine et Napoléon pour la parure, l’exposition JOSEPHINE NAPOLEON, une histoire (extra)ordinaire est aussi une manifestation de l’ancrage stylistique de Chaumet, de sa fidélité, de sa légitimité dans une histoire joaillière où le thème naturaliste et floral se perpétue. Les motifs d’étoile, de blé, de lys, d’hortensia, de laurier, de chêne, de roseau s’esquissent avec grâce dans les collections modernes du joaillier parisien.

Les diamants symbolisent tour à tour l’eau, le givre ou le soleil et les pierres de couleurs aux riches palettes de teintes convoquent toutes les nuances de la terre et du ciel. La finesse du trait, le dessin très enlevé, la réalisation ajourée et légère, très réaliste, perpétuent un savoir-faire et une facture qui étaient chers au fondateur de la Maison.

Les photos sont la propriété de la Maison Chaumet. Toute reproduction de photos et texte est interdite.

* « Bijoux anciens 1800 – 1950 » sous la direction de Geoffray Riondet – Paris, Flammarion, 2021

JOSEPHINE NAPOLEON, une histoire (extra)ordinaire – Chaumet, 12 place Vendôme – 19 mai au 18 juillet 2021


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